Numéro de collection : 468 Titre : Correspondance, volume III Sous-titre : 'Aux laïcs et aux évêques, Lettres 617-848 Année de parution : 2002 ISBN : 2204068535 Domaine : Grec Imprimeur : C. C. S. O. de Melleray Date de sortie : mai 2002 Prix du volume en euros : 35.00 Nombre de pages : 374 Etat du stock : 1146 en mars 2006
Œuvres contenues dans ce volume
Quaestions et réponses (500 - 543)
Correspondance avec Barsanuphe (500 - 543)
Genre : Questions-réponses
Langue originale : grec
Langue de transmission : grec
Résumé de l'œuvre :
124 lettres ont été publiées par le Révérend D. James Chitty, Varsanuphius and John. Questions and answers, critical edition of the greek text wtih english translation, dans Patrologia Orientalis 31, fasc. 3, Paris 1966, p. 451
Correspondance (Lettres 1-71), volume I, tome I, de BARSANUPHE et de JEAN DE GAZA. Cette correspondance dépasse de beaucoup par son ampleur (850 lettres) celle de Bernard. Pourtant il s'agit là des lettres de deux reclus, qui ne sortaient jamais de leur cabane et ne se montraient même pas à ceux qui venaient les interroger et leur demander conseil, au point que certains d'entre eux en vinrent à douter de leur existence ! Les lettres de ces deux solitaires de la région de Gaza, où s'étaient développées, depuis le IVe siècle, de nombreuses communautés monastiques, sont un témoignage essentiel sur l'originalité et la vitalité du monachisme palestinien au VIe siècle, à l'époque des empereurs Justin et Justinien. C'est alors la période de maturité d'un mouvement monastique, né au confluent des traditions ascétiques de l'Égypte, de la Syrie et de la Cappadoce, mais qui a acquis sa physionomie propre. De tous les monastères de Palestine, celui de l'abbé Séridos nous est le mieux connu, en raison notamment de la personnalité et du rayonnement spirituel de Barsanuphe et de ses disciples, Jean de Gaza, Dosithée et Dorothée, dont les Œuvres spirituelles figurent déjà dans la Collection (SC 92). Les consultants du « Grand Vieillard » - Barsanuphe -, ou de « l'Autre Vieillard » - Jean le Prophète, épithète que lui avait valu son charisme de discernement des esprits -, sont des membres de la communauté monastique, des anachorètes proches du monastère de l'abbé Séridos, des moines d'autres monastères, des prêtres, des évêques, mais aussi des laïcs de la région. Les questions sont variées : elles concernent surtout les difficultés que peut rencontrer le moine dans son choix de vie ascétique, mais aussi la manière de lire ou de psalmodier l'Écriture ou des questions théologiques. Les lettres des deux reclus ont été regroupées anciennement en trois grandes sections, selon leurs destinataires : les solitaires, les cénobites, les évêques et les laïcs chrétiens. Outre l'Introduction générale à cette Correspondance et au premier ensemble de lettres, on trouvera dans le tome I du volume I une notice sur les différents correspondants des deux « Vieillards » et une présentation des principaux thèmes abordés dans leurs lettres. Le texte critique de cette édition, l'Introduction et les notes sont l'œuvre commune de François Neyt, moine de S. André de Clerlande et professeur à l'Université Catholique de Louvain et de Paula de Angelis-Noah, docteur ès-lettres, de Ravenne ; la traduction française est celle de Lucien Regnault, moine de l'abbaye de Solesmes. Cette collaboration franco-belgo-italienne se poursuit pour les volumes suivants, dont la préparation est déjà bien avancée.
Correspondance (Lettres 72-223), volume I, tome II de BARSANUPHE et de JEAN DE GAZA, échangées par les deux ascètes reclus, dits « le Grand Vieillard » (Barsanuphe) et « l'Autre Vieillard » (Jean le Prophète), avec les solitaires de la région de Gaza. Ainsi s'achève la première des trois grandes sections, entre lesquelles ont été anciennement réparties ces lettres en fonction de leurs destinataires. Comme le précédent (SC 426), ce second tome fait découvrir plusieurs visages d'anachorètes, chacun avec sa personnalité. Leurs interrogations expriment leur désir de vie parfaite, dans la prière et l'ascèse, mais aussi leurs angoisses et leurs scrupules, leurs fantasmes et les tentations qui les assaillent, dont la moindre n'est pas le découragement ou l'affliction de devoir renoncer à poursuivre leurs pratiques ascétiques en raison de la maladie. A tous les « cas de conscience » qui leur sont soumis, à tous les conseils qui leur sont demandés, les deux « Vieillards » répondent en faisant preuve d'un grand discernement et d'une profonde connaissance de la nature humaine. Le scrupuleux est rassuré, le malade réconforté, le dépressif soutenu, le moribond apaisé ; des conseils pratiques concernant la nourriture, la prière, la récitation des psaumes, la manière dont un frère au service d'un Vieillard malade doit se comporter avec lui, sont prodigués à chaque correspondant et fournissent autant d'exemples de direction spirituelle. L'invitation à renoncer et à mourir à soi-même, à pratiquer l'humilité et la charité, s'accompagne presque constamment d'une invitation à la confiance et à l'action de grâces, s'exprimant dans la prière. Le jeûne et les privations, qui tiennent tant de place dans la vie de ces solitaires, ne sont en aucune manière une fin en soi ; à celui qui déplore que sa mauvaise santé lui interdise ces pratiques, Barsanuphe répond : « Ne te laisse pas aller au désespoir, car c'est la grande joie du diable. Sois donc confiant dans le Seigneur... Et pour ce qui est du jeûne corporel, ne te chagrine pas, car il n'est rien sans le spirituel » ; et, dans une autre lettre : « Pour le jeûne, ne t'afflige pas ; car, comme je te l'ai déjà dit, Dieu n'exige rien au-dessus de nos forces. Qu'est-ce, en effet, que le jeûne, sinon la discipline du corps, afin que le corps en bonne santé soit réduit en servitude et qu'il soit affaibli quant aux passions ? » Mêmes conseils empreints de modération quand il s'agit de la prière : « Pour la psalmodie ou la liturgie, ne t'afflige pas, car Dieu ne l'exige pas de toi à cause de la maladie. » Et quand la maladie accorde au malade une rémission, ce sont encore les mêmes conseils de modération que prodigue Barsanuphe : « Tu dois psalmodier un peu, réciter un peu par cœur, examiner et surveiller un peu tes pensées », sans astreinte et selon tes forces, à la manière de celui qui goûterait un peu de chaque plat, parce qu'il n'a pas encore la force de se contenter d'un seul et même plat, sans en éprouver du dégoût. « En effet, poursuit Barsanuphe, nos Pères, qui étaient parfaits, n'avaient pas de règle précise ; car, toute la journée, leur règle était de psalmodier un peu, de réciter un peu par cœur, d'examiner un peu leurs pensées, de s'occuper un peu de leur nourriture, et cela selon la crainte de Dieu, car il est dit : 'Tout ce que vous faites, faites-le pour la gloire de Dieu.' » Que les solitaires de Gaza du VIe siècle ne sont pas les seuls à pouvoir tirer profit, pour leur vie spirituelle, des conseils des deux « Vieillards », c'est l'évidence. Sinon cette Correspondance, pieusement recueillie par leurs disciples, n'aurait pas été recopiée de siècle en siècle, avant d'être éditée à l'époque moderne. Elle n'est pas non plus réservée à des ermites, et ce serait une erreur de croire que des laïcs n'en tireraient aucun profit ! On peut donc ne pas attendre la publication des lettres aux laïcs chrétiens, troisième et dernière section de cette Correspondance, pour se mettre à l'école des moines de Gaza ! L'édition de la totalité de ces lettres est assurée conjointement par Dom François Neyt, moine de Saint-André de Clerlande et professeur à l'Université de Louvain, et Paola De Angelis-Noah de Ravenne ; la traduction est celle de Dom Lucien Regnault, moine de Solesmes.
(J.-N. Guinot, 1999)
De l'abondante Correspondance des deux solitaires de Gaza, un premier volume en deux tomes (n° 426-427) a déjà été publié, en 1997 et 1998 (voir Bulletin n° 77) ; il contient les lettres adressées par BARSANUPHE et par JEAN aux solitaires établis dans la région de Gaza, au voisinage du monastère de l'abbé Séridos, à Thavatha, et qui consultent les deux Vieillards sur des sujets en rapport étroit avec leur choix de vie et leur expérience spirituelle. Ce nouveau volume (n° 450), dont le second tome paraîtra en janvier 2001, contient les lettres 224 à 616, adressées aux moines menant la vie cénobitique dans le monastère de Séridos. Il est, comme le précédent, l'œuvre conjointe, pour l'établissement du texte, l'introduction et les notes, de François Neyt, moine bénédictin du monastère S. André de Clerlande (Belgique), et de Paula De Angelis-Noah de Ravenne (Italie) et, pour la traduction, de Lucien Regnault, moine de l'abbaye de Solesmes. L'introduction présente d'abord brièvement les correspondants des deux Vieillards : plusieurs frères, semble-t-il, n'ont fait appel à leurs conseils et à leur discernement qu'en une ou deux circonstances ; d'autres les interrogent de façon plus suivie et en attendent une véritable direction spirituelle. Ainsi a-t-on un lot important de lettres adressées à Dorothée de Gaza, à la fois par Barsanuphe et par Jean, ses guides dans la vie monastique, depuis son entrée au monastère et ses années de noviciat, puis lorsqu'il eut à remplir diverses charges, celle de portier ou d'infirmier, difficiles pour lui à concilier avec ses exigences de vie spirituelle. Mais, à part ce personnage connu, dont les Œuvres spirituelles sont éditées dans la Collection (n° 92), et quelques autres frères dont les noms ont été conservés, parce qu'ils furent plus tard abbés du monastère et successeurs de Séridos, tous les autres demeurent des anonymes, chacun pourtant avec sa personnalité et ses problèmes propres. Ce sont en réalité ceux de toute vie communautaire et probablement de toute expérience spirituelle, confrontée aux réalités les plus quotidiennes et parfois les plus mesquines, à la tentation d'un certain angélisme et à celle du découragement, à la difficulté de l'obéissance jusqu'à l'abandon de sa volonté propre, à la nécessité d'une lutte toujours à reprendre contre ses passions. Cet anonymat des consultants confère du même coup au recueil une portée universelle : il en devient en quelque sorte un manuel de vie quotidienne pour le moine ; non pas un ensemble de Règles, mais une collection d'expériences vécues par un frère en charge de la cuisine, de la porte ou de l'infirmerie, par un frère menuisier ou bibliothécaire, par celui qui éprouve le besoin de quitter le monastère ou celui qui est en voyage, celui qui est malade ou de tempérament angoissé, celui qui s'interroge sur le sens des Écritures ou sur des questions théologiques après la lecture d'ouvrages qu'il n'aurait peut-être pas dû lire. Bref, c'est la vie quotidienne d'un monastère palestinien, au VIe siècle, que nous fait connaître cette correspondance, mais de façon presque toute intérieure, si l'on peut dire ; ce qui explique le peu de renseignements précis qu'elle offre sur la vie matérielle de ces moines et sur leurs lieux de vie communautaire. C'est que son intérêt véritable est ailleurs : il réside notamment dans l'apprentissage par le moine, sous la conduite des deux Vieillards, d'une obéissance, qui est renoncement à sa volonté propre et soumission absolue à l'abbé, afin de se rendre capable d'accepter en tout la volonté de Dieu. Tel est l'un des piliers de l'enseignement de Barsanuphe et de Jean pour les cénobites, mis en évidence par le chapitre de l'introduction où est analysé le contenu de ces lettres. Un autre chapitre, consacré à l'étude des sources, montre combien les deux Vieillards sont nourris de la pensée d'Antoine et des Pères du désert, dont ils citent, explicitement ou non, les Apophtegmes (voir SC 387). Ils sont, avec les Écritures, leur référence première, le fondement de leur culture et de leur spiritualité, même si leur correspondance montre qu'ils connaissent aussi les écrits ascétiques de Basile de Césarée, tel ouvrage de Jean Chrysostome ou les Chapitres gnostiques d'Évagre le Pontique (SC 356), dont la lecture trouble déjà pourtant quelques moines. Entre le monachisme palestinien et ses sources égyptiennes les liens demeurent donc étroits, en cette première moitié du VIe siècle, d'autant qu'à l'exemple de Barsanuphe lui-même, des moines d'Égypte étaient venus nombreux s'installer dans la région de Gaza. C'est en Égypte, dans le delta du Nil, que nous ramène encore, en remontant le temps, ISIDORE DE PELUSE, dont Pierre Évieux, membre de notre équipe CNRS, édite la correspondance. Avec ce deuxième volume de Lettres (L. 1414-1700), un quart de l'œuvre seulement est désormais publié dans la Collection. C'est suffisant déjà pour en révéler l'importance et l'intérêt. (J.-N. Guinot, 2000)
Avec le volume II. 2 de la Correspondance (Lettres 399-616) de BARSANUPHE et de JEAN DE GAZA (SC 451), s'achève donc l'édition d'un ensemble de lettres adressées par les deux « Vieillards » aux cénobites du monastère dirigé par l'abbé Séridos, puis, à sa mort, par Élien. Jusque-là simple laïc, ce dernier envisageait sans doute depuis longtemps déjà d'embrasser la vie monastique. C'est peut-être lui, s'il faut en croire les indications de quelques manuscrits, qui interroge Jean de Gaza sur divers aspects de la vie spirituelle et sur les Écritures (L. 463-482), avant de lui demander conseil, un jour, sur les dispositions qu'il doit prendre avant de renoncer au monde et de se retirer dans la vie monastique. Le choix qu'il s'apprête à faire est radical, comme ceux que demande le Christ à ses disciples dans l'Évangile, et l'on comprend bien les hésitations de cet homme qui, s'il a des biens, a aussi une femme et des enfants : « Me faut-il dès à présent, écrit-il, renoncer à tout et me retirer du monde, ou bien mettre ordre d'abord à mes affaires et partir ensuite, afin que je me trouve sans soucis dans ma retraite, surtout au sujet de ma femme, des enfants et de la vente de mes champs. La pensée m'est venue de l'établir auprès de ses cousins et de leur donner un fond de terre suffisant pour sa subsistance et celle de la maisonnée. Il me resterait ensuite à m'occuper de la vente des autres terres. Dis-moi donc quel est le meilleur parti à prendre et ce que je dois faire, car à vous Dieu révèle tout ce qui est utile » (L. 571). Encouragé par Jean à accomplir ce choix radical après avoir assuré l'avenir de sa famille, conforté dans sa décision par Barsanuphe, dont il a également sollicité les conseils, Élien entre au monastère de Thavatha, où il succèdera bientôt à l'abbé Séridos. Passé presque sans transition de l'état de laïc à la charge d'abbé, il aura encore souvent besoin, dans la gestion de son monastère, des conseils des deux Vieillards : comment s'adresser aux moines, quelle attitude adopter à l'égard de frères qu'il juge plus avancés que lui dans la vie monastique, comment reprendre celui qui a commis une faute, comment accueillir les visiteurs, comment pratiquer l'hospitalité, autant de questions que pose le nouvel abbé à ses guides spirituels (L. 574-598). Elles sont la traduction de situations concrètes qui donnent d'entrevoir non seulement la vie des moines à l'intérieur du monastère, mais aussi leurs relations avec le monde extérieur. Les pauvres sont nombreux à venir frapper à la porte du monastère, à demander nourriture ou vêtement ; il faut donc du discernement dans l'exercice de l'hospitalité et de la charité. Non que l'on doive refuser une petite aumône, même à un voleur, mais une charité inconsidérée risque de mettre en cause l'équilibre économique du monastère et d'encourager les « profiteurs » non nécessiteux. A la porte du monastère, viennent aussi frapper des moines vagabonds, qui insistent parfois pour entrer ; mieux vaut cependant les congédier en leur donnant une offrande, de peur qu'ils ne jettent le trouble dans la communauté, par leurs paroles ou leurs comportements. Quelle conduite tenir, lorsque viennent des femmes pieuses ou des mères de moines ? Cette question, Élien se la pose aussi à titre personnel : sa femme n'a pas voulu rester avec ses cousins et lui a remis tous ses biens ; il avait cru régler au mieux le problème avant d'entrer au monastère et voilà qu'il est rejoint par les soucis du monde et ses obligations familiales. La réponse de Jean est pleine de mesure : si ces femmes viennent, non par simple curiosité, mais pour entendre la parole de Dieu, apporter une offrande ou réclamer un secours, il faut les accueillir et s'entretenir avec elles ; quant à Élien, voici comment il doit se comporter à l'égard de sa femme : « Tant qu'elle vivra, tu dois lui parler de temps en temps et pourvoir à ses besoins, qu'elle veuille se fixer en ville ou dans ce bourg. Pour les enfants, ne les laisse pas faire leurs volontés, tant que tu ne les auras pas mis sur la bonne route pour la vie. Élève-les dans la crainte de Dieu. Donne-leur exactement ce qui convient comme nourriture et vêtement pour éviter la prodigalité et le mépris, et pour qu'ils ne recherchent pas de superflu. Évalue leurs besoins... Et si leur mère vient à mourir, assure-leur la liberté, et subviens à leur entretien avec mesure, soit là-bas dans le bourg, soit où tu voudras » (L. 595). Bien d'autres lettres, dans ce volume, nous font connaître, dans son quotidien et dans ses détails, les plus banals parfois en apparence, la vie de ces cénobites, sans excepter les tensions et les mesquineries qui sont le lot de toute vie communautaire. Ainsi voit-on des moines entrer en conflit pour la possession d'une cellule, l'un vouloir établir un contrat de location avec son propriétaire, un autre céder de bien mauvais gré sa cellule à un frère malade venu se faire soigner au monastère... Tous ont besoin d'être rappelés à l'humilité, à la dépossession de soi, à l'abandon total aux volontés de Dieu. Un moine menuisier souffre visiblement de ne pas trouver dans son travail le profit qu'il escomptait en entrant au monastère et en vient à se demander s'il ne ferait pas mieux de le quitter ; Jean le met en garde contre la tentation du désespoir : « Fais soigneusement avec crainte de Dieu ton petit travail manuel ; il ne sera pas petit le salaire que tu en recevras. Ne désespère pas de toi-même, ce serait la joie du diable » (L. 553). La formule, à quinze siècles de distance, trouvera un écho chez Bernanos. D'autres lettres traitent de la prière, des pensées qui assaillent l'esprit du moine à divers moments de la journée, de la lecture des Écritures que Jean de Gaza déconseille à ceux qui ne sont pas suffisamment formés : « Ne nous risquons pas dans les récits des Écritures. La chose est dangereuse en effet pour qui n'a pas la science, car ces paroles ont été dites spirituellement, et le charnel est incapable de discerner les choses spirituelles » (L. 469). N'allons pas croire pour autant que les moines de Thavatha sont incultes ou ignorent les débats doctrinaux de leur temps. Plusieurs lettres abordent la question de l'hérésie, ce qui laisse supposer l'existence de débats à l'intérieur même du monastère (L. 536-539). Particulièrement importantes à cet égard, et d'un grand intérêt pour l'histoire des controverses doctrinales en Palestine, sont les lettres 600-607 qui traitent de l'origénisme. La possibilité existe donc, dans ce monastère, de lire des ouvrages d'Origène, de Didyme et surtout, semble-t-il, d'Évagre le Pontique, dont les Chapitres gnostiques sont mentionnés à plusieurs reprises. On ne s'étonnera pas de voir énergiquement condamnées par Barsanuphe et par Jean les thèses d'Origène sur la résurrection des corps et l'apocatastase. C'est presque déjà trop d'en faire état ! Telle a été sans doute l'opinion partagée par plusieurs lecteurs de cette correspondance, puisque ce dernier ensemble de lettres n'est transmis que par trois manuscrits. (J.-N. Guinot, 2001)
Avec le volume III de la Correspondance de BARSANUPHE et de JEAN DE GAZA (SC 468), s'achève la longue série - cinq volumes de la Collection - des 848 lettres qui nous transmettent le contenu des échanges entre les deux solitaires de Gaza et ceux qui avaient recours à leur direction spirituelle. Rappelons que ces lettres ont été regroupées, à une date ancienne, en fonction des différents interlocuteurs des deux grands Vieillards, si bien que l'ensemble du recueil se répartit comme suit : d'abord les lettres aux solitaires (Lettres 1-223 : SC 426-427), puis les lettres aux cénobites (Lettres 224-616 : SC 450-451), et enfin les lettres échangées avec des laïcs, des prêtres et des évêques (Lettres 617-848), celles que l'on trouvera dans le présent volume. En réalité, les lettres adressées aux laïcs sont de loin les plus nombreuses dans cette dernière section, les autres représentant à peine un quart de l'ensemble, et encore y figurent des lettres à des laïcs venus consulter les Vieillards sur le choix d'un nouvel évêque, en une circonstance délicate. L'évêque de Gaza, que son avarice et d'autres fautes avaient rendu odieux au peuple s'était vu déposé par un synode régional et il fallait lui trouver un successeur. Des trois candidats, reconnus dignes de l'épiscopat, lequel devait-on choisir et en fonction de quels critères ? Les pieux laïcs qui viennent consulter Barsanuphe ne cachent pas que la communauté est divisée, que chacun défend, parfois avec passion, son candidat. Barsanuphe conseille d'abandonner la décision au métropolite, l'archevêque de Césarée. L'affaire se complique du fait que l'évêque déposé, usant de ses richesses, tente de faire intervenir en sa faveur l'empereur de Byzance, sans doute Justin Ier ; mais l'empereur meurt avant que la démarche de l'évêque condamné aboutisse. Un nouvel évêque est ordonné, mais s'estimant indigne de la fonction, c'est lui maintenant qui consulte Barsanuphe et lui fait part de son intention de démissionner. Convaincu par lui de rester au poste où Dieu l'a appelé, il continue à solliciter les conseils du Vieillard touchant l'ordination, pour son diocèse, de clercs, de diacres ou de prêtres. Autant de cas qu'il soumet à son jugement. Barsanuphe joue donc auprès de lui un rôle tout à fait comparable à celui de Jean de Gaza auprès d'Élien, dans les premières années où ce dernier fut élu abbé du monastère de Thavatha (cf. Lettres 571-598). La vie de l'Église de Gaza, en tant qu'institution mais aussi communauté de croyants se laisse entrevoir à l'occasion de cette péripétie de son histoire. Les questions que pose à Barsanuphe l'évêque de Jérusalem sont du même ordre : là encore il s'agit de choisir entre plusieurs candidats à l'ordination pour occuper diverses fonctions dans l'Église, de savoir quelle conduite tenir à l'égard d'hérétiques manichéens ou de païens qui tentent de se faire baptiser pour échapper aux poursuites du pouvoir, de résister à la tentation du découragement devant les difficultés de la charge épiscopale. Les préoccupations qui conduisent de pieux laïcs à interroger les deux Vieillards sont évidemment d'un autre ordre. Elles concernent tout à la fois leur vie personnelle et leur vie sociale, le domaine matériel et spirituel. Ces laïcs sont tous épris de perfection, désireux de progresser dans la vie chrétienne, sous la direction des deux Vieillards. Ils éprouvent naturellement de la difficulté à maîtriser leurs passions, ils ne savent pas toujours quelle conduite tenir à l'égard d'autrui, chrétien ou non, ni comment témoigner de leur foi ; ils voudraient aussi apprendre à prier. Comment vivre en chrétien dans le monde, telle pourrait-être l'interrogation qui les résume toutes. Bien des questions concernent l'usage que l'on doit faire des biens matériels et la pratique de l'aumône. Là encore il faut faire preuve de discernement. Vente d'un terrain, acquisition de domestiques, procès devant les tribunaux, argent à recouvrer sur ses débiteurs, association en affaires, la vie quotidienne oblige le chrétien à s'interroger sur ses comportements. Suis-je obligé de rester en compagnie de gens du monde si l'on en vient à parler de futilités (L. 707) ? Comment dois-je réagir en face de quelqu'un qui se moque de la religion et qui blasphème (L. 658) ? J'ai un ami hérétique ; dois-je essayer de le convertir à la foi orthodoxe ou rompre avec lui (L. 732-735) ? Puis-je entrer dans l'église pendant la liturgie et en sortir avant la fin de l'office ? puis-je parler pendant l'office (L. 736-737) ? Est-ce un péché de travailler le dimanche (L. 751) ? N'allons pas trop vite considérer qu'il s'agit là de problèmes casuistiques aussi ridicules que ceux dénoncés par Pascal dans ses Provinciales ou de scrupules sans intérêt ! Quel que soit le sujet abordé, mince et bassement matériel, ou de caractère plus spirituel, voir doctrinal, il est toujours l'occasion pour les deux solitaires de Gaza d'inviter leur interlocuteur à développer sa faculté de discernement pour opérer librement des choix de vie conformes à ses aspirations. Peu importe donc la situation à laquelle on se trouve confronté et qui provoque l'interrogation - un contrat d'achat ou de vente, une fraude involontaire dans un compte, l'attitude des percepteurs de l'impôt, une invasion de sauterelles dont on pourrait se débarrasser au détriment de son voisin, une transaction financière, le recours à des pratiques de sorcellerie pour obtenir une guérison -, à chaque instant, dans sa vie personnelle et intérieure comme dans sa vie sociale, le chrétien est amené à faire des choix. Les réponses des deux solitaires de Gaza, plus qu'une direction spirituelle, veulent être une école de formation, un apprentissage du discernement. Comme les précédents, ce troisième et dernier volume de la Correspondance de BARSANUPHE et de JEAN DE GAZA a été réalisé en collaboration par le Père François Neyt, moine de l'abbaye de Clerlande en Belgique, Paula De Angelis-Noah de Ravenne et le Père Lucien Regnault de l'abbaye de Solesmes. (J.-N. Guinot, 2002)
124 lettres ont été publiées par le Révérend D. James Chitty, Varsanuphius and John. Questions and answers, critical edition of the greek text wtih english translation, dans Patrologia Orientalis 31, fasc. 3, Paris 1966, p. 451
Correspondance (Lettres 1-71), volume I, tome I, de BARSANUPHE et de JEAN DE GAZA. Cette correspondance dépasse de beaucoup par son ampleur (850 lettres) celle de Bernard. Pourtant il s'agit là des lettres de deux reclus, qui ne sortaient jamais de leur cabane et ne se montraient même pas à ceux qui venaient les interroger et leur demander conseil, au point que certains d'entre eux en vinrent à douter de leur existence ! Les lettres de ces deux solitaires de la région de Gaza, où s'étaient développées, depuis le IVe siècle, de nombreuses communautés monastiques, sont un témoignage essentiel sur l'originalité et la vitalité du monachisme palestinien au VIe siècle, à l'époque des empereurs Justin et Justinien. C'est alors la période de maturité d'un mouvement monastique, né au confluent des traditions ascétiques de l'Égypte, de la Syrie et de la Cappadoce, mais qui a acquis sa physionomie propre. De tous les monastères de Palestine, celui de l'abbé Séridos nous est le mieux connu, en raison notamment de la personnalité et du rayonnement spirituel de Barsanuphe et de ses disciples, Jean de Gaza, Dosithée et Dorothée, dont les Œuvres spirituelles figurent déjà dans la Collection (SC 92). Les consultants du « Grand Vieillard » - Barsanuphe -, ou de « l'Autre Vieillard » - Jean le Prophète, épithète que lui avait valu son charisme de discernement des esprits -, sont des membres de la communauté monastique, des anachorètes proches du monastère de l'abbé Séridos, des moines d'autres monastères, des prêtres, des évêques, mais aussi des laïcs de la région. Les questions sont variées : elles concernent surtout les difficultés que peut rencontrer le moine dans son choix de vie ascétique, mais aussi la manière de lire ou de psalmodier l'Écriture ou des questions théologiques. Les lettres des deux reclus ont été regroupées anciennement en trois grandes sections, selon leurs destinataires : les solitaires, les cénobites, les évêques et les laïcs chrétiens. Outre l'Introduction générale à cette Correspondance et au premier ensemble de lettres, on trouvera dans le tome I du volume I une notice sur les différents correspondants des deux « Vieillards » et une présentation des principaux thèmes abordés dans leurs lettres. Le texte critique de cette édition, l'Introduction et les notes sont l'œuvre commune de François Neyt, moine de S. André de Clerlande et professeur à l'Université Catholique de Louvain et de Paula de Angelis-Noah, docteur ès-lettres, de Ravenne ; la traduction française est celle de Lucien Regnault, moine de l'abbaye de Solesmes. Cette collaboration franco-belgo-italienne se poursuit pour les volumes suivants, dont la préparation est déjà bien avancée.
Correspondance (Lettres 72-223), volume I, tome II de BARSANUPHE et de JEAN DE GAZA, échangées par les deux ascètes reclus, dits « le Grand Vieillard » (Barsanuphe) et « l'Autre Vieillard » (Jean le Prophète), avec les solitaires de la région de Gaza. Ainsi s'achève la première des trois grandes sections, entre lesquelles ont été anciennement réparties ces lettres en fonction de leurs destinataires. Comme le précédent (SC 426), ce second tome fait découvrir plusieurs visages d'anachorètes, chacun avec sa personnalité. Leurs interrogations expriment leur désir de vie parfaite, dans la prière et l'ascèse, mais aussi leurs angoisses et leurs scrupules, leurs fantasmes et les tentations qui les assaillent, dont la moindre n'est pas le découragement ou l'affliction de devoir renoncer à poursuivre leurs pratiques ascétiques en raison de la maladie. A tous les « cas de conscience » qui leur sont soumis, à tous les conseils qui leur sont demandés, les deux « Vieillards » répondent en faisant preuve d'un grand discernement et d'une profonde connaissance de la nature humaine. Le scrupuleux est rassuré, le malade réconforté, le dépressif soutenu, le moribond apaisé ; des conseils pratiques concernant la nourriture, la prière, la récitation des psaumes, la manière dont un frère au service d'un Vieillard malade doit se comporter avec lui, sont prodigués à chaque correspondant et fournissent autant d'exemples de direction spirituelle. L'invitation à renoncer et à mourir à soi-même, à pratiquer l'humilité et la charité, s'accompagne presque constamment d'une invitation à la confiance et à l'action de grâces, s'exprimant dans la prière. Le jeûne et les privations, qui tiennent tant de place dans la vie de ces solitaires, ne sont en aucune manière une fin en soi ; à celui qui déplore que sa mauvaise santé lui interdise ces pratiques, Barsanuphe répond : « Ne te laisse pas aller au désespoir, car c'est la grande joie du diable. Sois donc confiant dans le Seigneur... Et pour ce qui est du jeûne corporel, ne te chagrine pas, car il n'est rien sans le spirituel » ; et, dans une autre lettre : « Pour le jeûne, ne t'afflige pas ; car, comme je te l'ai déjà dit, Dieu n'exige rien au-dessus de nos forces. Qu'est-ce, en effet, que le jeûne, sinon la discipline du corps, afin que le corps en bonne santé soit réduit en servitude et qu'il soit affaibli quant aux passions ? » Mêmes conseils empreints de modération quand il s'agit de la prière : « Pour la psalmodie ou la liturgie, ne t'afflige pas, car Dieu ne l'exige pas de toi à cause de la maladie. » Et quand la maladie accorde au malade une rémission, ce sont encore les mêmes conseils de modération que prodigue Barsanuphe : « Tu dois psalmodier un peu, réciter un peu par cœur, examiner et surveiller un peu tes pensées », sans astreinte et selon tes forces, à la manière de celui qui goûterait un peu de chaque plat, parce qu'il n'a pas encore la force de se contenter d'un seul et même plat, sans en éprouver du dégoût. « En effet, poursuit Barsanuphe, nos Pères, qui étaient parfaits, n'avaient pas de règle précise ; car, toute la journée, leur règle était de psalmodier un peu, de réciter un peu par cœur, d'examiner un peu leurs pensées, de s'occuper un peu de leur nourriture, et cela selon la crainte de Dieu, car il est dit : 'Tout ce que vous faites, faites-le pour la gloire de Dieu.' » Que les solitaires de Gaza du VIe siècle ne sont pas les seuls à pouvoir tirer profit, pour leur vie spirituelle, des conseils des deux « Vieillards », c'est l'évidence. Sinon cette Correspondance, pieusement recueillie par leurs disciples, n'aurait pas été recopiée de siècle en siècle, avant d'être éditée à l'époque moderne. Elle n'est pas non plus réservée à des ermites, et ce serait une erreur de croire que des laïcs n'en tireraient aucun profit ! On peut donc ne pas attendre la publication des lettres aux laïcs chrétiens, troisième et dernière section de cette Correspondance, pour se mettre à l'école des moines de Gaza ! L'édition de la totalité de ces lettres est assurée conjointement par Dom François Neyt, moine de Saint-André de Clerlande et professeur à l'Université de Louvain, et Paola De Angelis-Noah de Ravenne ; la traduction est celle de Dom Lucien Regnault, moine de Solesmes.
(J.-N. Guinot, 1999)
De l'abondante Correspondance des deux solitaires de Gaza, un premier volume en deux tomes (n° 426-427) a déjà été publié, en 1997 et 1998 (voir Bulletin n° 77) ; il contient les lettres adressées par BARSANUPHE et par JEAN aux solitaires établis dans la région de Gaza, au voisinage du monastère de l'abbé Séridos, à Thavatha, et qui consultent les deux Vieillards sur des sujets en rapport étroit avec leur choix de vie et leur expérience spirituelle. Ce nouveau volume (n° 450), dont le second tome paraîtra en janvier 2001, contient les lettres 224 à 616, adressées aux moines menant la vie cénobitique dans le monastère de Séridos. Il est, comme le précédent, l'œuvre conjointe, pour l'établissement du texte, l'introduction et les notes, de François Neyt, moine bénédictin du monastère S. André de Clerlande (Belgique), et de Paula De Angelis-Noah de Ravenne (Italie) et, pour la traduction, de Lucien Regnault, moine de l'abbaye de Solesmes. L'introduction présente d'abord brièvement les correspondants des deux Vieillards : plusieurs frères, semble-t-il, n'ont fait appel à leurs conseils et à leur discernement qu'en une ou deux circonstances ; d'autres les interrogent de façon plus suivie et en attendent une véritable direction spirituelle. Ainsi a-t-on un lot important de lettres adressées à Dorothée de Gaza, à la fois par Barsanuphe et par Jean, ses guides dans la vie monastique, depuis son entrée au monastère et ses années de noviciat, puis lorsqu'il eut à remplir diverses charges, celle de portier ou d'infirmier, difficiles pour lui à concilier avec ses exigences de vie spirituelle. Mais, à part ce personnage connu, dont les Œuvres spirituelles sont éditées dans la Collection (n° 92), et quelques autres frères dont les noms ont été conservés, parce qu'ils furent plus tard abbés du monastère et successeurs de Séridos, tous les autres demeurent des anonymes, chacun pourtant avec sa personnalité et ses problèmes propres. Ce sont en réalité ceux de toute vie communautaire et probablement de toute expérience spirituelle, confrontée aux réalités les plus quotidiennes et parfois les plus mesquines, à la tentation d'un certain angélisme et à celle du découragement, à la difficulté de l'obéissance jusqu'à l'abandon de sa volonté propre, à la nécessité d'une lutte toujours à reprendre contre ses passions. Cet anonymat des consultants confère du même coup au recueil une portée universelle : il en devient en quelque sorte un manuel de vie quotidienne pour le moine ; non pas un ensemble de Règles, mais une collection d'expériences vécues par un frère en charge de la cuisine, de la porte ou de l'infirmerie, par un frère menuisier ou bibliothécaire, par celui qui éprouve le besoin de quitter le monastère ou celui qui est en voyage, celui qui est malade ou de tempérament angoissé, celui qui s'interroge sur le sens des Écritures ou sur des questions théologiques après la lecture d'ouvrages qu'il n'aurait peut-être pas dû lire. Bref, c'est la vie quotidienne d'un monastère palestinien, au VIe siècle, que nous fait connaître cette correspondance, mais de façon presque toute intérieure, si l'on peut dire ; ce qui explique le peu de renseignements précis qu'elle offre sur la vie matérielle de ces moines et sur leurs lieux de vie communautaire. C'est que son intérêt véritable est ailleurs : il réside notamment dans l'apprentissage par le moine, sous la conduite des deux Vieillards, d'une obéissance, qui est renoncement à sa volonté propre et soumission absolue à l'abbé, afin de se rendre capable d'accepter en tout la volonté de Dieu. Tel est l'un des piliers de l'enseignement de Barsanuphe et de Jean pour les cénobites, mis en évidence par le chapitre de l'introduction où est analysé le contenu de ces lettres. Un autre chapitre, consacré à l'étude des sources, montre combien les deux Vieillards sont nourris de la pensée d'Antoine et des Pères du désert, dont ils citent, explicitement ou non, les Apophtegmes (voir SC 387). Ils sont, avec les Écritures, leur référence première, le fondement de leur culture et de leur spiritualité, même si leur correspondance montre qu'ils connaissent aussi les écrits ascétiques de Basile de Césarée, tel ouvrage de Jean Chrysostome ou les Chapitres gnostiques d'Évagre le Pontique (SC 356), dont la lecture trouble déjà pourtant quelques moines. Entre le monachisme palestinien et ses sources égyptiennes les liens demeurent donc étroits, en cette première moitié du VIe siècle, d'autant qu'à l'exemple de Barsanuphe lui-même, des moines d'Égypte étaient venus nombreux s'installer dans la région de Gaza. C'est en Égypte, dans le delta du Nil, que nous ramène encore, en remontant le temps, ISIDORE DE PELUSE, dont Pierre Évieux, membre de notre équipe CNRS, édite la correspondance. Avec ce deuxième volume de Lettres (L. 1414-1700), un quart de l'œuvre seulement est désormais publié dans la Collection. C'est suffisant déjà pour en révéler l'importance et l'intérêt. (J.-N. Guinot, 2000)
Avec le volume II. 2 de la Correspondance (Lettres 399-616) de BARSANUPHE et de JEAN DE GAZA (SC 451), s'achève donc l'édition d'un ensemble de lettres adressées par les deux « Vieillards » aux cénobites du monastère dirigé par l'abbé Séridos, puis, à sa mort, par Élien. Jusque-là simple laïc, ce dernier envisageait sans doute depuis longtemps déjà d'embrasser la vie monastique. C'est peut-être lui, s'il faut en croire les indications de quelques manuscrits, qui interroge Jean de Gaza sur divers aspects de la vie spirituelle et sur les Écritures (L. 463-482), avant de lui demander conseil, un jour, sur les dispositions qu'il doit prendre avant de renoncer au monde et de se retirer dans la vie monastique. Le choix qu'il s'apprête à faire est radical, comme ceux que demande le Christ à ses disciples dans l'Évangile, et l'on comprend bien les hésitations de cet homme qui, s'il a des biens, a aussi une femme et des enfants : « Me faut-il dès à présent, écrit-il, renoncer à tout et me retirer du monde, ou bien mettre ordre d'abord à mes affaires et partir ensuite, afin que je me trouve sans soucis dans ma retraite, surtout au sujet de ma femme, des enfants et de la vente de mes champs. La pensée m'est venue de l'établir auprès de ses cousins et de leur donner un fond de terre suffisant pour sa subsistance et celle de la maisonnée. Il me resterait ensuite à m'occuper de la vente des autres terres. Dis-moi donc quel est le meilleur parti à prendre et ce que je dois faire, car à vous Dieu révèle tout ce qui est utile » (L. 571). Encouragé par Jean à accomplir ce choix radical après avoir assuré l'avenir de sa famille, conforté dans sa décision par Barsanuphe, dont il a également sollicité les conseils, Élien entre au monastère de Thavatha, où il succèdera bientôt à l'abbé Séridos. Passé presque sans transition de l'état de laïc à la charge d'abbé, il aura encore souvent besoin, dans la gestion de son monastère, des conseils des deux Vieillards : comment s'adresser aux moines, quelle attitude adopter à l'égard de frères qu'il juge plus avancés que lui dans la vie monastique, comment reprendre celui qui a commis une faute, comment accueillir les visiteurs, comment pratiquer l'hospitalité, autant de questions que pose le nouvel abbé à ses guides spirituels (L. 574-598). Elles sont la traduction de situations concrètes qui donnent d'entrevoir non seulement la vie des moines à l'intérieur du monastère, mais aussi leurs relations avec le monde extérieur. Les pauvres sont nombreux à venir frapper à la porte du monastère, à demander nourriture ou vêtement ; il faut donc du discernement dans l'exercice de l'hospitalité et de la charité. Non que l'on doive refuser une petite aumône, même à un voleur, mais une charité inconsidérée risque de mettre en cause l'équilibre économique du monastère et d'encourager les « profiteurs » non nécessiteux. A la porte du monastère, viennent aussi frapper des moines vagabonds, qui insistent parfois pour entrer ; mieux vaut cependant les congédier en leur donnant une offrande, de peur qu'ils ne jettent le trouble dans la communauté, par leurs paroles ou leurs comportements. Quelle conduite tenir, lorsque viennent des femmes pieuses ou des mères de moines ? Cette question, Élien se la pose aussi à titre personnel : sa femme n'a pas voulu rester avec ses cousins et lui a remis tous ses biens ; il avait cru régler au mieux le problème avant d'entrer au monastère et voilà qu'il est rejoint par les soucis du monde et ses obligations familiales. La réponse de Jean est pleine de mesure : si ces femmes viennent, non par simple curiosité, mais pour entendre la parole de Dieu, apporter une offrande ou réclamer un secours, il faut les accueillir et s'entretenir avec elles ; quant à Élien, voici comment il doit se comporter à l'égard de sa femme : « Tant qu'elle vivra, tu dois lui parler de temps en temps et pourvoir à ses besoins, qu'elle veuille se fixer en ville ou dans ce bourg. Pour les enfants, ne les laisse pas faire leurs volontés, tant que tu ne les auras pas mis sur la bonne route pour la vie. Élève-les dans la crainte de Dieu. Donne-leur exactement ce qui convient comme nourriture et vêtement pour éviter la prodigalité et le mépris, et pour qu'ils ne recherchent pas de superflu. Évalue leurs besoins... Et si leur mère vient à mourir, assure-leur la liberté, et subviens à leur entretien avec mesure, soit là-bas dans le bourg, soit où tu voudras » (L. 595). Bien d'autres lettres, dans ce volume, nous font connaître, dans son quotidien et dans ses détails, les plus banals parfois en apparence, la vie de ces cénobites, sans excepter les tensions et les mesquineries qui sont le lot de toute vie communautaire. Ainsi voit-on des moines entrer en conflit pour la possession d'une cellule, l'un vouloir établir un contrat de location avec son propriétaire, un autre céder de bien mauvais gré sa cellule à un frère malade venu se faire soigner au monastère... Tous ont besoin d'être rappelés à l'humilité, à la dépossession de soi, à l'abandon total aux volontés de Dieu. Un moine menuisier souffre visiblement de ne pas trouver dans son travail le profit qu'il escomptait en entrant au monastère et en vient à se demander s'il ne ferait pas mieux de le quitter ; Jean le met en garde contre la tentation du désespoir : « Fais soigneusement avec crainte de Dieu ton petit travail manuel ; il ne sera pas petit le salaire que tu en recevras. Ne désespère pas de toi-même, ce serait la joie du diable » (L. 553). La formule, à quinze siècles de distance, trouvera un écho chez Bernanos. D'autres lettres traitent de la prière, des pensées qui assaillent l'esprit du moine à divers moments de la journée, de la lecture des Écritures que Jean de Gaza déconseille à ceux qui ne sont pas suffisamment formés : « Ne nous risquons pas dans les récits des Écritures. La chose est dangereuse en effet pour qui n'a pas la science, car ces paroles ont été dites spirituellement, et le charnel est incapable de discerner les choses spirituelles » (L. 469). N'allons pas croire pour autant que les moines de Thavatha sont incultes ou ignorent les débats doctrinaux de leur temps. Plusieurs lettres abordent la question de l'hérésie, ce qui laisse supposer l'existence de débats à l'intérieur même du monastère (L. 536-539). Particulièrement importantes à cet égard, et d'un grand intérêt pour l'histoire des controverses doctrinales en Palestine, sont les lettres 600-607 qui traitent de l'origénisme. La possibilité existe donc, dans ce monastère, de lire des ouvrages d'Origène, de Didyme et surtout, semble-t-il, d'Évagre le Pontique, dont les Chapitres gnostiques sont mentionnés à plusieurs reprises. On ne s'étonnera pas de voir énergiquement condamnées par Barsanuphe et par Jean les thèses d'Origène sur la résurrection des corps et l'apocatastase. C'est presque déjà trop d'en faire état ! Telle a été sans doute l'opinion partagée par plusieurs lecteurs de cette correspondance, puisque ce dernier ensemble de lettres n'est transmis que par trois manuscrits. (J.-N. Guinot, 2001)
Avec le volume III de la Correspondance de BARSANUPHE et de JEAN DE GAZA (SC 468), s'achève la longue série - cinq volumes de la Collection - des 848 lettres qui nous transmettent le contenu des échanges entre les deux solitaires de Gaza et ceux qui avaient recours à leur direction spirituelle. Rappelons que ces lettres ont été regroupées, à une date ancienne, en fonction des différents interlocuteurs des deux grands Vieillards, si bien que l'ensemble du recueil se répartit comme suit : d'abord les lettres aux solitaires (Lettres 1-223 : SC 426-427), puis les lettres aux cénobites (Lettres 224-616 : SC 450-451), et enfin les lettres échangées avec des laïcs, des prêtres et des évêques (Lettres 617-848), celles que l'on trouvera dans le présent volume. En réalité, les lettres adressées aux laïcs sont de loin les plus nombreuses dans cette dernière section, les autres représentant à peine un quart de l'ensemble, et encore y figurent des lettres à des laïcs venus consulter les Vieillards sur le choix d'un nouvel évêque, en une circonstance délicate. L'évêque de Gaza, que son avarice et d'autres fautes avaient rendu odieux au peuple s'était vu déposé par un synode régional et il fallait lui trouver un successeur. Des trois candidats, reconnus dignes de l'épiscopat, lequel devait-on choisir et en fonction de quels critères ? Les pieux laïcs qui viennent consulter Barsanuphe ne cachent pas que la communauté est divisée, que chacun défend, parfois avec passion, son candidat. Barsanuphe conseille d'abandonner la décision au métropolite, l'archevêque de Césarée. L'affaire se complique du fait que l'évêque déposé, usant de ses richesses, tente de faire intervenir en sa faveur l'empereur de Byzance, sans doute Justin Ier ; mais l'empereur meurt avant que la démarche de l'évêque condamné aboutisse. Un nouvel évêque est ordonné, mais s'estimant indigne de la fonction, c'est lui maintenant qui consulte Barsanuphe et lui fait part de son intention de démissionner. Convaincu par lui de rester au poste où Dieu l'a appelé, il continue à solliciter les conseils du Vieillard touchant l'ordination, pour son diocèse, de clercs, de diacres ou de prêtres. Autant de cas qu'il soumet à son jugement. Barsanuphe joue donc auprès de lui un rôle tout à fait comparable à celui de Jean de Gaza auprès d'Élien, dans les premières années où ce dernier fut élu abbé du monastère de Thavatha (cf. Lettres 571-598). La vie de l'Église de Gaza, en tant qu'institution mais aussi communauté de croyants se laisse entrevoir à l'occasion de cette péripétie de son histoire. Les questions que pose à Barsanuphe l'évêque de Jérusalem sont du même ordre : là encore il s'agit de choisir entre plusieurs candidats à l'ordination pour occuper diverses fonctions dans l'Église, de savoir quelle conduite tenir à l'égard d'hérétiques manichéens ou de païens qui tentent de se faire baptiser pour échapper aux poursuites du pouvoir, de résister à la tentation du découragement devant les difficultés de la charge épiscopale. Les préoccupations qui conduisent de pieux laïcs à interroger les deux Vieillards sont évidemment d'un autre ordre. Elles concernent tout à la fois leur vie personnelle et leur vie sociale, le domaine matériel et spirituel. Ces laïcs sont tous épris de perfection, désireux de progresser dans la vie chrétienne, sous la direction des deux Vieillards. Ils éprouvent naturellement de la difficulté à maîtriser leurs passions, ils ne savent pas toujours quelle conduite tenir à l'égard d'autrui, chrétien ou non, ni comment témoigner de leur foi ; ils voudraient aussi apprendre à prier. Comment vivre en chrétien dans le monde, telle pourrait-être l'interrogation qui les résume toutes. Bien des questions concernent l'usage que l'on doit faire des biens matériels et la pratique de l'aumône. Là encore il faut faire preuve de discernement. Vente d'un terrain, acquisition de domestiques, procès devant les tribunaux, argent à recouvrer sur ses débiteurs, association en affaires, la vie quotidienne oblige le chrétien à s'interroger sur ses comportements. Suis-je obligé de rester en compagnie de gens du monde si l'on en vient à parler de futilités (L. 707) ? Comment dois-je réagir en face de quelqu'un qui se moque de la religion et qui blasphème (L. 658) ? J'ai un ami hérétique ; dois-je essayer de le convertir à la foi orthodoxe ou rompre avec lui (L. 732-735) ? Puis-je entrer dans l'église pendant la liturgie et en sortir avant la fin de l'office ? puis-je parler pendant l'office (L. 736-737) ? Est-ce un péché de travailler le dimanche (L. 751) ? N'allons pas trop vite considérer qu'il s'agit là de problèmes casuistiques aussi ridicules que ceux dénoncés par Pascal dans ses Provinciales ou de scrupules sans intérêt ! Quel que soit le sujet abordé, mince et bassement matériel, ou de caractère plus spirituel, voir doctrinal, il est toujours l'occasion pour les deux solitaires de Gaza d'inviter leur interlocuteur à développer sa faculté de discernement pour opérer librement des choix de vie conformes à ses aspirations. Peu importe donc la situation à laquelle on se trouve confronté et qui provoque l'interrogation - un contrat d'achat ou de vente, une fraude involontaire dans un compte, l'attitude des percepteurs de l'impôt, une invasion de sauterelles dont on pourrait se débarrasser au détriment de son voisin, une transaction financière, le recours à des pratiques de sorcellerie pour obtenir une guérison -, à chaque instant, dans sa vie personnelle et intérieure comme dans sa vie sociale, le chrétien est amené à faire des choix. Les réponses des deux solitaires de Gaza, plus qu'une direction spirituelle, veulent être une école de formation, un apprentissage du discernement. Comme les précédents, ce troisième et dernier volume de la Correspondance de BARSANUPHE et de JEAN DE GAZA a été réalisé en collaboration par le Père François Neyt, moine de l'abbaye de Clerlande en Belgique, Paula De Angelis-Noah de Ravenne et le Père Lucien Regnault de l'abbaye de Solesmes. (J.-N. Guinot, 2002)